La Citadelle (French Edition)

Tout en caressant Canem, Émile fit le récit de ces trois années loin de la citadelle. D’abord le Sénégal, où il avait été muté durant un an au lycée français de Dakar. Une incroyable expérience qui l’avait autant endurci qu’adouci. Du soleil, des couleurs, des sourires, de la misère, des vagues, des riches, des peurs, des expatriés, des tiep bou di

À Paris, la cohue de la capitale, la course perpétuelle ou encore les amours inutiles permettaient de couvrir tout bruissement. Bien sûr, il restait les heures creuses de la nuit pour le ressusciter, et il arrivait à Émile de se faire surprendre parfois par une pensée ou un souvenir. Le temps d’écrire à nouveau.

Cette frénésie d’écriture avait brusquement germé après la mise en terre des cercueils. Ce n’était pourtant ni le manque, ni la tristesse qui la nourrissaient, mais la peur nerveuse de disparaître un jour sans laisser de trace.

Durant les jours suivant, Émile se laissa happer par une routine réjouissante. Réveillé avant les autres, il se rendait au café In Bivaccu pour profiter du calme de la mer. Canem venait s’allonger près de lui tandis que Mateo, après lui avoir servi son expresso, passait un peu de temps à discuter avec celui qu’il surnommait définitivement « Pinzutu

Un couple. Jamais encore il n’avait goûté au partage de l’être en deux, du moins pas assez longtemps pour le comprendre. Son ego ne parvenait pas à se morceler dans la fusion de l’autre. Ce pronom « nous » si diffus, si abstrait pour lui, flottait chaque fois derrière l’extase de son indépendance. Combien de fois s’était-il réveillé auprès d’une au

Qu’avait-il accepté de lui depuis tout ce temps ? Il aurait pu écrire mille mots sur Andréa, son visage, ses pensées, sa manière de bouger, de parler. Mais sur lui-même ? Le mystère lui paraissait aussi épais que du sang. Il butait contre lui-même : comment faire de son reflet sa propre identité, s’appartenir entièrement, corps et âme ?

Émile eut des pensées de Parisien. Tout quitter pour retrouver la nature, fuguer à la recherche des vertiges de sa propre vie en mettant de côté ceux offerts par la naissance. S’installer dans le maquis, contempler la mer, la montagne, le ciel. Et pourquoi pas ? Il s’ennuierait peut-être. Rester seul ici cet été lui paraissait être un bon test. De

Douze mois plus tard, la promesse ne fut pas tenue. Pas d’Émile, ni de texto pour l’en avertir. Mateo ne s’en étonna pas. Il était habitué à voir disparaître ceux du continent. Ils disaient toujours qu’ils voulaient revenir, juraient fidélité à l’île, mais une métropole reste une bouche énorme, et une fois avalé, impossible d’en réchapper. C’est po

Si la vie pouvait n’être qu’imagination, Émile serait devenu depuis longtemps le plus heureux des hommes.