Érasme: Grandeur et décadence d'une idée (French Edition)

Érasme ne veut plus habiter une ville aux sentiments catholiques trop prononcés ni une ville ardemment protestante ; ce qu'il lui faut, c'est la neutralité. Il se réfugie dans l'éternel asile de l'indépendance : la Suisse. Durant de longues années, Bâle sera sa ville d'élection. Cette cité calme et distinguée du centre de l'Europe, avec ses rues pr

C'est elle, Stultitia, cette généreuse dispensatrice d'illusions, et rien qu'elle, qui rend heureux ; plus un homme sacrifie à ses passions, plus il mène une vie déraisonnable, plus il est heureux. En effet, les méditations et les soucis assombrissent l'âme ; la joie n'est jamais dans la clairvoyance et dans la sagesse, mais toujours dans l'ivresse

Pourquoi des idéaux aussi grands, aussi humains n'acquirent-ils pas de plus en plus de force, pourquoi l'Érasmisme ne se fortifia-t-il pas plus dans un monde depuis longtemps renseigné sur l'ineptie de toute hostilité ? Nous devons malheureusement reconnaître qu'un idéal ne visant que le bien-être général ne satisfait jamais complètement les masses

la bienveillance de cet homme encore inconnu peu de temps avant, qui végétait en donnant des leçons, en écrivant des dédicaces et des requêtes, qui vivait des maigres prébendes soutirées aux puissants par d'humiliantes flatteries ; maintenant ce sont les puissants qui le recherchent, et c'est toujours un glorieux spectacle que de voir le pouvoir te

Érasme a trouvé dans l'art, dans la science, dans son travail un refuge où il est à l'abri des querelles religieuses. Il est écœuré de tout ce bruit et de toutes ces luttes : consulo quieti meae, il n'aspire plus qu'au repos, cet otium sacré de l'artiste. Mais le monde s'est juré de ne point le laisser en paix. Il y a des époques où la neutralité e

il ne néglige la politesse, jamais il ne s'abandonne à la haine « meurtrière » d'un Luther à l'égard de l'ennemi. Érasme n'est pas fait pour se battre ; d'ailleurs ses convictions ne sont pas assez arrêtées pour qu'il puisse les défendre avec passion ; la certitude n'est pas le fait des natures objectives. Elles doutent facilement de leur propre op

Chaque lettre d'Érasme est enveloppée dans une étoffe de brocart par son destinataire et montrée telle une relique aux amis remplis de respect ; une recommandation d'Érasme est un Sésame qui ouvre toutes les portes ; jamais un homme, ni Gœthe ni même Voltaire, n'a détenu une aussi grande puissance grâce à son seul savoir.

Mais ni menaces ni malédictions ne peuvent amener Érasme à adhérer à l'un ou l'autre parti : nulli concedo, je ne veux appartenir à personne, telle fut sa devise et jamais il ne la démentit ; il voulait être homo pro se, homme pour soi-même, quelles qu'en fussent les conséquences.

« Dois-je, sur le point de mourir, m'acquitter de charges que j'ai refusées toute ma vie. » Non, mourons comme nous avons vécu, libre ! Libre, dans des vêtements laïcs, sans ces dignités ni ces honneurs terrestres, libre comme tous ceux qui sont seuls, seul comme tous ceux qui sont libres.