Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen (French Edition)

Mais aujourd’hui, je m’étonne encore de la somme de connaissances accumulée grâce à cette exaltation de la passion littéraire alors que nous n’étions que des gamins, de la précocité avec laquelle nous nous étions approprié un tel discernement critique grâce à cette pratique ininterrompue de la discussion et de l’analyse méticuleuse.

dans ce demi-siècle, il s’est produit plus de métamorphoses et de changements radicaux qu’autrefois dans le courant de dix générations, et chacun d’entre nous le sent : presque trop ! Et mon aujourd’hui est si différent de chacun de mes hier, avec mes périodes ascendantes et mes chutes brutales, qu’il me semble parfois que j’ai vécu non pas une mai

C’est dans le domaine des loyers que ces disparités prirent un tour grotesque : le gouvernement, pour protéger les locataires (qui représentaient la grande masse), interdit toute augmentation, ce qui désavantageait les propriétaires. En Autriche, le loyer annuel d’un logement moyen coûta bientôt moins cher à son locataire qu’un seul repas de midi ;

Un grand soleil brillait. En rentrant chez moi, je remarquai brusquement devant moi mon ombre, tout comme je voyais l’ombre de l’autre guerre dans celle d’aujourd’hui. Cette ombre ne m’a plus quitté depuis, elle a endeuillé chacune de mes pensées, jour et nuit ; on aperçoit peut-être sa sombre silhouette sur bien des pages de ce livre. Mais en fin

Je n’en sais pas assez sur un artiste quand je n’ai sous les yeux que son œuvre achevée et je ratifie l’opinion de Goethe lorsqu’il dit que pour comprendre entièrement les grandes créations il ne faut pas simplement les avoir vues dans leur état d’achèvement mais aussi les avoir observées dans leur devenir.

On suppose généralement que s’enrichir est vraiment le but typique que tout Juif se fixe dans la vie. Rien n’est plus faux. Devenir riche n’est pour lui qu’une étape intermédiaire, un moyen d’atteindre son véritable objectif et nullement son but intérieur. La volonté vraie du Juif, son idéal immanent, est de s’élever dans la sphère de l’esprit, à u

le génie de Vienne — génie spécifiquement musical — avait toujours consisté à harmoniser en elle toutes les oppositions ethniques et linguistiques, sa culture avait toujours été une synthèse de toutes les cultures occidentales ; celui qui vivait et travaillait là se sentait libre de toute étroitesse et de tout préjugé. Nulle part il n’était plus fa

Depuis le début je ne croyais pas à la « victoire », ayant pour seule certitude que même si elle pouvait être acquise au prix d’énormes sacrifices, cette victoire ne les justifiait pas. Mais parmi tous mes amis, je restais toujours seul à lancer des avertissements, et les braillements de victoire avant le premier coup de feu, la distribution du but

Je le sais aujourd’hui : sans tout ce que j’ai souffert à cette époque, pendant la guerre, de compassion pour les autres et de pressentiments pour l’avenir, je serais resté l’écrivain que j’étais avant la guerre, « agréablement animé » comme on dit en musique, mais jamais atteint, pris, saisi aux tripes. À présent, et pour la première fois, j’avais